Débutants de Raymond CARVER
Publié le 26 Février 2018
Débutants est un recueil de nouvelles magnifiques et douloureuses.
Les personnages sont des gens paumés, alcooliques, un peu perdus, un peu tout ça et souvent rien du tout, du moins à leurs yeux.
Tout est possible et le pire arrive parfois. Les nouvelles sont pleines de tension, de violence contenue et sont désespérantes presque tout le temps. Toutefois, même si il faut vraiment avoir le moral pour les lire, elles sont superbement écrites. Peu de mots pour mettre en place un lieu, un personnage, tout y est avec presque rien. Chaque nouvelle est tendue à l'extrême. Les plus longues sont les plus éprouvantes, comme celle qui donne son nom à ce recueil "Débutants". Jusqu'à la fin de cette nouvelle, on se demande ce qu'il va se passer car tout est prêt à être brisé à tout moment. Les personnages ne sont jamais à leur avantage. Par exemple, le cardiologue qui invite ses amis à boire, est déprimé, pleurnichard et vantard. Il retient l'intérêt de ses amis parce qu'il a des histoires à raconter, des histoires de malades dont il s'occupe. C'est l'occasion pour lui de se mettre en avant, de montrer qu'il est fort, attentionné, compréhensif ... Tout ce qu'il n'est pas dans la vraie vie.
Raymond Carver est mort à cinquante ans, alors qu'il avait réussi à se sortir de son alcoolisme et être reconnu comme écrivain. C'est Gordon Lish qui lui a permis d'être édité et de travailler dans une université américaine. Or le prix à payer par Carver a été très élevé. Lish "retravaillait" systématiquement les nouvelles de Carver, sans aucun état d'âme pour l'écrivain : coupures, réduction de moitié de la longueur des nouvelles, changements de noms, de titres, etc... un véritable supplice pour Carver.
A la fin de ce recueil de nouvelles, est publiée une lettre de Carver à Lish suppliant celui-ci de ne pas faire paraître ses nouvelles après "tout le travail accompli" par Lish. Cette lettre est véritablement poignante : Carver est désespéré et reconnaissant à Lish de tout ce qu'il a fait pour lui, mais certaines nouvelles sont déjà parues dans des journaux et c'est une honte pour Carver si jamais on s'aperçoit de ces changements qu'il n'approuve pas du tout bien évidemment.
J'avais lu les mêmes nouvelles il y a presque trente ans, éberluée par l'écriture de Carver mais moins sensible à la cruauté de ces nouvelles. En réalité, j'avais lu la version expurgée par Lish et en effet, en réduisant la plupart de ces nouvelles à leur moitié, le supplice était moins douloureux. Elles étaient édulcorées en quelque sorte.
Elles réapparaissent dans leur intégralité bien après le décès de Carver, extrêmement malheureux de n'avoir pu de son vivant les voir éditées ainsi.
Il en reste une littérature brillante et forte, intensément humaine.