Après la lecture du du « Dernier des Camondo » de Pierre Assouline (article du 26 Mars 2018), j'ai eu envie de visiter la maison que le comte Moïse de Camondo comptait léguer à son fils Nissim. Celui-ci étant mort sur le front de la première guerre mondiale, Moïse décida d'offrir cette demeure à la République Française pour inciter toute jeune personne ayant envie d'être artiste ou artisan à découvrir les trésors du 18ème siècle qui y sont accumulés.
Cet hôtel particulier est intact, rien n'a changé depuis la donation en 1934, excepté quelques aménagements pour la visite. Tous les objets, tapis, revues, assiettes, horloges … sont là pour l'éternité semble-t-il.
La famille, elle, a brutalement disparu en 1943. L'état français, bien reconnaissant, a déporté Béatrice, la sœur de Nissim, son mari Léon Reinach, et leurs deux enfants d'une vingtaine d'années. Aucun ne reviendra. La famille de Camondo s'est alors définitivement éteinte. Elle avait pourtant cru en l'Etat qu'elle avait si bien servi.
Sur les murs de la cour du Mémorial de la Shoah se trouvent les noms de cette famille, Béatrice n'est pas sur le même mur que les autres, étant décédée l'année suivante.
L'entrée du Mémorial est dédiée à Simone Veil, deux albums de belles photos en noir et blanc retracent sa vie. Il y a un livre d'or pour lui dire merci. Et puis quelques marches pour descendre, encore une installation immense, toute grise de béton pour se rappeler, et la voix de Sandrine Kiberlain et d'une autre femme qui lisent à haute voix, sans interruption, les noms des 76 000 juifs de France morts en déportation.
Encore quelques marches et nous y sommes. Pour commencer la visite, un film retrace l'histoire de la persécution des juifs de tous temps. Même si le film est très explicite, je ne comprends toujours pas cette haine, si profonde, si ancienne.
Tout au long de la visite, il y a des petites vitrines avec sur chacune d'entre elle, un cahier accroché, le nom et le visage de la personne déportée. Dans la vitrine, des lettres de celle-ci, des effets personnels et le petit cahier raconte certains moments de sa vie. Ainsi cette jeune fille étudiante à la Sorbonne qui ne peut pas présenter l'agrégation parce que juive. Elle raconte dans une lettre l'humiliation ressentie lors de sa première sortie avec l'étoile jaune sur son vêtement.
Tous les thèmes possibles sur les exactions commises à l'encontre des juifs sont présentés avec des photos, des phrases simples et claires, des documents de l'époque.
Des écrans permettent d'écouter des déportés racontant leur voyage pour le camp, les tâches avilissantes, la déshumanisation.
Un couple relate comment, alors qu'ils étaient tous deux déportés depuis des années, ils se retrouvent dans le hall de l'hôtel Lutetia bondé de gens désespérés. Elle est énorme à cause d'un oedème, lui fait 32 kilos. Ils se reconnaissent immédiatement.
Simone Veil raconte aussi, presque au bord des larmes, toutes les peines encourues. Elle dit n'avoir plus jamais été comme avant à son retour, elle a abandonné une partie de sa vie dans le camp.
Le témoignage le plus frappant est celui de cette femme, jeune fille à l'époque pleine d'espoir. Elle a cru tout le temps de son enfermement que, dès que les autres pays seraient informés de l'existence des camps, ils interviendraient immédiatement. Il ne pouvait en être autrement.
Enfin, Vivette raconte la ration de pain donnée chaque soir, pour tout repas de la journée. Cette ration est maigre mais qu'il serait bon de pouvoir partager le lendemain matin avec son amie, ce qui aura pu être gardé, malgré les vols. Elle survivait pour ces matins de partage, sa portion d'humanité qu'elle avait su conserver en elle dans cet enfer.
Au détour d'un mur chargé de photos, voici une photo de Simon Wiesenthal. Il n'a pas le droit comme Claude Lanzmann à un écran où une interview est projetée. Son statut de chasseur de nazis est indiqué. Sa petite place est sans doute dûe à toutes ces incohérences dans ses récits de déporté. Et pourquoi pas ? Les gens n'avaient pas envie d'entendre à leur retour, il a cru bon peut-être d'exagérer pour être écouté.
Avant de partir, un tableau présente la répartition par pays des 6 millions de juifs morts en déportation. Les trois millions de juifs polonais représentaient 89,5 % des juifs polonais avant la guerre. Mêmes proportions pour les lituaniens et les tchèques, en moindre nombre. Que sont devenus ces rescapés juifs polonais, lituaniens et tchèques ? Plus personne à retrouver, plus rien certainement, plus envie de revenir peut-être.
Les murs de la dernière pièce sont recouverts des photos des juifs français morts en déportation, c'est infini et concret en même temps.
J'ai eu envie de pleurer pendant les trois heures passées dans cet endroit. Je devrai y retourner car je n'ai pas tout regardé, c'était suffisant pour une première fois. On a beau savoir que l'on sait, il faut revoir encore et encore, les photos de ces gens, leurs témoignages. Il y a toujours à apprendre.
Je repense à cette lettre d'un homme incarcéré au camp de Pithiviers. Il sait qu'il va être déporté et qu'il ne reviendra pas. Il écrit une lettre magnifique à sa femme. Il sait que c'est la dernière. Relire cette lettre n'est pas du voyeurisme, juste perpétuer la mémoire de ces victimes, leur donner une parole.
Ne pas oublier doit nous rendre plus tolérants, ouverts, généreux.
Je pense aux syriens, à tous les migrants.